Il a les yeux rivés sur les lignes de code depuis ce qu'il lui semble être des heures. Scrutent, d'une ligne à l'autre, pour trouver l'erreur - probablement stupide - qui l'empêche de faire ce qu'il devrait et fout en l'air sa mise en page tant que ça y est. Il pense trouver, fait un test, se retrouve à désactiver une autre fonctionnalité sans le faire exprès. Un grognement de frustration lui échappe - rien de plus, il ne faut pas réveiller sa mère qui dort dans la pièce à côté - il s'appuie sur ses coudes, front appuyé sur les mains jointes aux pouces ; sa peau pâlirait tant il appuie. Il se demande dans un flash pourquoi il s'inflige ça, ce qu'il a bien pu y trouver à ces études et si l'enjeu en vaut vraiment la chandelle.
Et ça le fatigue.
Si seulement il pouvait y voir plus clair.
Il sait qu'il n'arrivera à rien dans cet état ; lâche son écran pour en regarder un autre. Fait même plus attention à l'heure, les seules qui comptent sont celles qui régissent ses journées. Et son estomac fait un drôle de soubresaut quand il scrolle à travers ses notifs pour tomber sur celle de Lev. Grommelle dans sa barbe et s'interrompt immédiatement en entendant sa mère bouger ; oreille tendue, il ne lit les messages envoyés une dizaine de minutes avant qu'une fois certain de ne pas l'avoir dérangée.
jsp ou je suit - cas de force majeure - les saltos internes s'enchainent, le retournent et font des plats à chaque fois. Dans quel pétrin ce con s'est-il encore fourré ? L'a les méninges qui sautent aux conclusions les plus sordides en premier, à l'agacement en second. Il peut pas ne pas répondre, il s'en veut de céder si facilement. C'est plus fort que lui. Il sait que Lev compte sur lui - ça l'enfonce dans ce qui lui sert de vie, d'avoir un tel filet de sécurité. Mais il peut pas l'ignorer, Lev ne sait même pas où il est. Lev a besoin de lui. Il a besoin de lui. Ce serait pas la première fois qu'il irait le chercher dans un squat pourri où il craint pour leurs vies. Ce serait pas la dernière non plus, à vrai dire. Au moins, Lev a pensé à lui envoyer sa localisation - signe de l'habitude salement rodée. L'a les paumes moites quand il lui redemande de pas bouger, l'espère qu'il ne va pas bouger. Qu'est-ce qu'il fait s'il peut pas le trouver ? Il se faufile en vitesse et en silence, Mars, il a même pas encore enfilé sa veste quand il passe le pas de la porte, la foulée qui touche à peine le sol dans la cage d'escalier.
Les mains maltraitent un peu le volant à tapoter un rythme qu'il a entendu à la boutique dans la journée, il sait même plus lequel - la conduite un peu trop rapide, le regard fait trop d'allers retours entre la route et son téléphone. Mars souffle son appréhension comme si ça l'en déchargeait; et il appréhende. Sait pas dans quel état Lev va être, sait même pas quel est le cas de force majeure, il réalise alors qu'il ralentit en s'approchant de là où Lev a ping sa localisation. Merde, mais qu'il est con. Il regarde la carte avec un peu plus d'attention. On se concentre, il va bien falloir qu'au moins un d'eux ait les idées claires.
Il se dirige vers la sortie de la ville - les maisons se font plus rares - l'appuie un peu plus sur l'accélérateur - et s'il arrive trop tard ? Il déteste Lev. Il déteste Lev de le foutre dans cet état, à chaque putain de fois il a le coeur qui tombe six pieds sous terre. Et il se déteste lui-même, Mars, parce que Lev l'a appelé lui et pas Nova et qu'il préfère que les choses soient comme ça.
- Lev ?
La voiture est garée un peu plus loin, là où la civilisation s'arrête. Il capte super mal, l'a envoyé un message à son meilleur pote, en bon chauffeur uber personnalisé, pour prévenir de son arrivée mais il est pas sûr que ce soit passé ou de pouvoir recevoir la réponse.
Il se laisse pas abattre, Mars : il utilise le flash de son téléphone pour s'y retrouver. L'entend des voix qui viennent des bois, il sait pas trop s'il devrait s'en approcher. La dernière localisation de Lev en indiquait la lisière, et Mars espérait sincèrement qu'il ne s'y est pas aventuré - sans se faire trop d'illusion à ce sujet. L'espoir fait vivre, et la nuit transforme la pittoresque petite forêt dont le cadre est parfait pour une après-midi champêtre en un lieu menaçant digne des films d'horreur qu'ils s'enchainent en nuit blanche tous les jeudi en quinze.
- Putain Lev j'te jure si t'es parti encore à perpet…
Il devrait être juste là, ou très proche tout du moins.
