september will be filled with surprises (jane)

Les gardes de nuit sont toujours particulièrement longues pour Saem, lorsqu’il accepte de les faire. Très peu d’urgences qui nécessitent son intervention ou ne serait-ce que son expertise, donc il se contente d’attendre. L’avantage, c’est que cela lui permet d’avoir des nouvelles de ses ancien⸱nes collègues qu’il a quitté il y a à peine un an. Peut-être pour cette raison qu’il accepte encore de faire des gardes de temps en temps, et aussi car ils ne sont pas 150 kinés en ville et qu’il faut bien s’entraider pour l’hôpital. Mais pour autant, l’hôpital ne lui manque pas du tout. Il préfère avoir sa propre clientèle et gérer aussi ses propres horaires sans se retrouver à faire des heures supplémentaires tous les jours au point de délaisser son fils – euh, son chien.
Cette nuit-là est semblable aux autres. Cela fait plusieurs mois qu’il n’a pas fait de garde et il a pris de quoi lire en attendant que les heures passent pour qu’il puisse rentrer chez lui et dormir. Enfin plus ou moins, car demain c’est lundi et son premier rendez-vous est à 10 heures. Et autant dire que si son cher patient Robert ne le voit pas au cabinet à l’heure pile, il risque d’appeler les urgences en croyant qu’il lui est arrivé quelque chose de grave. Spoiler alert : c’est déjà arrivé et les pompiers n’ont pas apprécié de se déplacer car Saem s’est endormi sur son bureau et a oublié d’ouvrir le cabinet à l’heure. Autant dire que depuis, le jeune kinésithérapeute fait particulièrement attention mais au moins, il sait qu’il peut compter sur ses client⸱e⸱s tout comme iels peuvent compter sur lui.
Il n’empêche que son bouquin ne l’aide pas à se concentrer sur autre chose que sa sensation de faim. 4 heures du matin. Est-ce l’heure pour petit déjeuner ? Certainement pas, mais il n’y a plus de notion d’heures lorsqu’on est à l’hôpital. Il décide de lâcher son poste pour aller jusqu’à la cafétéria qui devrait normalement être vide. Normalement, car il voit une personne assisse à une table, seule.
« Bonjour. Euh, bonsoir. » lance-t-il machinalement en lui jetant à peine un regard avant de se diriger vers le premier distributeur qui apparaît dans son champ de vision. Et alors qu’il compose le code pour attraper un twix, il se retourne vers l’inconnue plusieurs fois sans aucune discrétion. Elle ressemble étrangement à la sœur de son meilleur ami qu’il n’a pas vu depuis… bien longtemps. Il finit par attraper sa récompense pour supporter cette longue nuit avant de passer de nouveau devant la table, d’hésiter quelques secondes… puis se tourne enfin vers elle. Si ce n’est pas elle, il va définitivement se faire passer pour le roi des crétins mais bon, il n'est plus à ça près. « Jane, c’est toi ? ».
Saem se trouve quelque peu idiot de poser cette question. Il se dit que c’est plus crédible que ce soit son sosie plutôt que Jane en personne. Aux dernières nouvelles, elle était à Chicago et il ne voit pas ce qu’elle viendrait faire ici, dans cette ville qu’elle a toujours eu tendance à mépriser. Et puis Tim l’aurait prévenu, non ? Peut-être pas. Parce qu’ils ne parlent pas vraiment de Jane entre eux.

Quelle heure il est ? Jane n’a plus les yeux entre les trous après une opération de dernière minute pour un pauvre badot s’étant coupé un peu trop la main. C’était bien rare qu’il ne lui reste ce type d’opération depuis son installation ici. Elle a bien plus de demandes pour de l’esthétique et quelques coups de bistouris rajeunissant, ce qui l’amuse bien plus qu’autre chose. Et puis, qu’on se le dise, elle n’a pas vraiment grand-chose à faire d’autre dans cette ville si riquiqui en comparaison de Chicago. A chaque coin de rues, un⸱e inconnu⸱e qui lui parait si ennuyant, si différent et elle ne parvient toujours pas à se sentir chez elle. Cette vie ne semble pas pour elle, mais elle avait bien dû choisir entre son métier ou la vie citadine. Et aussi éviter la honte ultime. Comment elle aurait pu savoir que Joseph n’était pas seulement brillant mais aussi un trou du cul finit ?
Face à son bol de nouilles instantanées – qu’elle a fait réchauffer mais qui vient bien de chez elle, parce que la cafétéria est immonde ici- elle remet sérieusement ses choix de vie en question. Comment est-ce qu’elle en était arrivée là ? Elle devait reconnaitre qu’elle l’avait un peu cherché. C’était pas vraiment l’amour fou avec Joseph, il était la plupart du temps absent, ne lui répondait qu’une fois sur cinq et elle n’avait même pas le droit de le voir dans un restaurant en ville. Est-ce qu’elle avait fermé les yeux ? Complètement. Elle avait joué les idiotes, elle qui était pourtant brillante, intelligente, au-dessus des amourettes entre collègues –soi-disant. Elle s’était fait avoir comme une bleue. Elle est à deux doigts d’enfourner une fourchette de nouilles trop chaude quand quelqu’un vient lui dire bonjour. Qui pour déranger sa paix intérieure ? La bouche encore ouverte et la fourchette franchement instable dans sa main, elle tourne les yeux vers la voix masculine. Elle a des ami⸱e⸱s ici ?
- Heu… Bonsoir ?
Elle a beau se creuser un peu les méninges, elle est clairement dans le gaz après cette nuit. Pourtant, il lui dit bien quelque chose alors qu’il la regarde à peine. Elle cherche, réfléchit vite avant de sentir pointer une once de réponse alors qu’il se tourne puis se détourne. Il est plus rapide qu’elle, il faut croire car il finit par la nommer comme si c’était une surprise. Et elle comprend alors immédiatement de qui il s’agit.
- Saem Kang ?
Elle ne peut pas s’empêcher de se demander depuis quand il est à l’hopital. Est-ce qu’il y travaille ? Qu’est-ce qu’il faisait déjà ? Il était médecin aussi ? Elle a oublié, comme elle a si facilement oublié sa vie ici une fois partie à Chicago. Pourtant, qu’est-ce qu’elle a pu le côtoyer. Enfin, le voir partir avec Tim pour on ne sait quelle aventure qui ne l’intéressait absolument pas, si bien que ce n’est qu’un ami de son frère. Pas un compatriote dans le milieu quoi.
- Tu es… médecin ?
La question est-elle idiote alors qu’ielles sont dans un hopital ? Elle se dit que non. Mais elle s'attendait pas à ça, sans trop savoir pourquoi. Elle mange enfin sa bouchée qui lui brûle la langue. Ouch !
- Merde !
Elle manque de renverser son bol, la table et même la chaise. Non, en fait elle renverse la chaise. Mais le bol et intacte et ses vêtements aussi. Par contre, sa fourchette git par KO au sol.